Jihed, soignant de l'UOSSM France nous livre son témoignage bouleversant. Un récit rempli d'humilité et de courage qui nous montre chaque jour la résilience de ces soignants qui ont choisi de rester en Syrie pour sauver des vies, parfois au péril de la leur.

En cette fin d'année, nous souhaitons rendre hommage et soutenir tous ces héros du quotidien qui font preuve de courage et de détermination pour mener leur mission à bien avec très peu de moyens. Après 10 ans de guerre et de destruction massive des infrastructures de santé, l’hôpital, c'est eux. 

Une vie au cœur du conflit syrien

Pouvez-vous vous présenter ? Quelles étaient vos aspirations avant le début du conflit ?

Je m’appelle Jihed, j'ai 39 ans. Je viens de Dana, dans la campagne d'Idleb où j'y vis actuellement. Je travaille aujourd’hui au centre de santé de Barisha, qui est soutenu par l’UOSSM France afin de fournir des soins gracieux aux populations environnantes.

Avant la guerre, j’étais un jeune homme parmi tant d’autres, avec beaucoup d’ambitions, d’espoir et d’attentes. Après le BAC, j’ai été accepté à la Faculté de médecine, et ce fut l'une des périodes les plus agréables de ma vie. Nous étions des étudiants passionnés. Notre vie était centrée sur le plaisir d'étudier, la science, l'amitié et la joie. J’ai été diplômé en 2009 et en 2010, j’ai été accepté en chirurgie générale où j’ai poursuivi pendant 3 ans mes études. Puis la guerre est arrivée.

Je me souviens très bien du jour où j’ai pris conscience de ma destinée. J’étais dans ma voiture un soir quand j’ai reçu des tirs. Miraculeusement sauvé, alors que ma voiture, elle, ne fut que débris. Nous étions au cœur du conflit, nous le vivions intimement et nous avons vécu les mêmes atrocités que le reste de la population syrienne. Nous vivions dans la peur constante des bombardements. Chaque rue traversée, nous étions confrontés aux blessures, aux obus et aux morts. Dans cette situation, en tant que médecin, vous ne pensez pas à vous mais bien à votre devoir citoyen de ne pas laisser les gens mourir. Ce jour-là, j’ai décidé d’arrêter ma formation pour me consacrer à temps plein à ma vocation de médecin, pour soigner et sauver des vies.

Que faisiez-vous avant de travailler comme médecin avec l’UOSSM France ?

Durant les premières années de la guerre, des milliers de médecins ont été obligés de fuir le pays. Il est important de souligner que pour la plupart de ces médecins, c’était tout sauf un choix que de quitter leur terre natale. C’est un véritable déchirement émotionnel pour ces milliers de syriens et syriennes qui ont dû partir, ciblés et bombardés avec pour seule faute d’exercer leur métier et de sauver des vies. Malgré les hauts et les bas, je suis fier de poursuivre ma mission en tant que travailleur humanitaire.

Lorsque je travaillais dans un hôpital à Sarmin, je me souviens d’un incident terrible qui hante encore mes nuits. Les bombardements étaient très proches de l’hôpital et comme je suis spécialiste en chirurgie générale, nous étions aux urgences lorsqu’un homme a été blessé par un éclat d’obus. Les dommages avaient engendré une hémorragie au niveau du foie. Ici, aucun autre chirurgien n’était présent, et cet homme était sur le point de perdre la vie, nous nous sommes directement rendus au bloc opératoire. Durant l’opération, l’hôpital a été attaqué plusieurs fois. Deux infirmières et un anesthésiste étaient avec moi dans le bloc. Et d’un coup, je me retrouve seul face au patient, un trou béant dans la salle d’opération, mes collègues ayant dû fuir la salle d’opération pour se protéger. La peur fut ma première émotion. S’en sont suivies mon devoir et ma responsabilité envers la personne sur la table. J’ai réussi à arrêter l’hémorragie et appelé une ambulance d’urgence pour le transférer le plus vite possible vers un hôpital plus sécurisé. Dieu soit loué, le patient a survécu.

Pouvez-vous nous parler de votre vie au quotidien en Syrie ?

Comme toute famille, je me réveille le matin en buvant un café avec ma femme. Je prends le petit déjeuner avec mes enfants avant qu’ils aillent à l’école et je pars à mon travail. Chaque jour, je prie Dieu de les protéger de la guerre jusqu’à mon retour, car le contexte est toujours difficile dans la région d’Idleb. Vous ne pouvez pas être sûr de la sécurité de votre famille tant que vous n’êtes pas de retour chez vous. Même si je sais que ma famille n’est pas entièrement en sécurité, j’assure de mon côté d’apporter de l’aide aux personnes dans le besoin. Ces personnes sont plus vulnérables que mes enfants.

Je consulte chaque jour et suit l’évolution de mes patients. Ce travail est dur et long. Lors de mes études, nous étions habitués à consulter 30 patients sur une plage horaire de 6 à 8 heures. Ici, nous consultons près de 60 personnes chaque jour. En même temps nous devons faire de notre mieux pour assurer une bonne consultation au patient ce qui est une charge mentale et physique supplémentaire pour nous. 

J'essaie en rentrant chez moi d'oublier ces difficultés  que je vois tous les jours lors des consultations car je ne veux pas être dans un état de tension constante lorsque je vois mes enfants. Ensuite, avec ma femme, comme tous les parents, nous passons du temps avec nos enfants notamment les temps de repas.

J’ai également un cabinet privé dans lequel je travaille le soir à partir de 17h. Je le considère comme un cabinet humanitaire car les honoraires ici sont symboliques. Beaucoup de personnes n’ont pas les moyens de consulter, et le peu de centres comme celui de l’UOSSM France sont souvent saturés. Dans mon cabinet, certaines personnes payent symboliquement le montant de 5 liras (0,002cts d'euros) par exemple et d’autres qui n’ont pas les moyens ne payent pas et c’est de cette manière que je souhaite gérer ce cabinet.

Sa mission ? Sauver des vies avec l'UOSSM France

Pouvez-vous nous parler de votre mission au sein de l’UOSSM France ?

Je travaille avec l’UOSSM France depuis 2018, c’est un honneur pour moi de travailler avec eux. C’est une expérience formidable que je poursuivrai encore de nombreuses années, tant que la situation ne se sera pas améliorée en Syrie.

Ici, les soignants sont très expérimentés, et les conditions de travail sont bonnes. Notre seul et unique objectif est de fournir le meilleur accès aux soins aux populations les plus démunies.

Quel est l'impact du centre de santé de Barisha sur la communauté environnante ?

Le centre de Barisha se trouve dans une zone rurale montagneuse, éloignée des routes principales. Son existence est primordiale pour toutes ces populations difficiles d’accèsSans ce centre de santé de proximité, les habitants n’auraient pas accès aux soins essentiels à leur survie, notamment pour les patients souffrant de pathologies chroniques qui nécessitent un suivi régulier et rigoureux de leur traitement. Parmi les habitants de cette région, beaucoup sont des déplacés internes, où les conditions de vie et l’accès au travail sont précaires. Il n’y a aucune possibilité de faire de l’agriculture ou d’élever du bétail.

Même à notre échelle, nous ressentons l’impact positif de l’ouverture de ce centre auprès des populations. Auparavant, les habitants de la région avaient pour habitude de pratiquer l’automédication, faute d’accès aux soins. Dans la plupart des cas, cela engendrait des complications et des risques décuplés pour leur santé. Dorénavant, les habitants peuvent passer un examen médical complet et reçoivent un traitement adapté à leurs pathologies. Ces traitements pourtant communs, représentent un véritable fardeau pour eux car les médicaments sont hors de prix dans les pharmacies privées.

Quels sont vos besoins en tant que médecins de ce centre ?

Ce dont nous avons besoin en tant qu’ONG médicale ? Un soutien de la communauté internationale pour favoriser l’approvisionnement en équipement médical et en médicaments, notamment pour les pathologies chroniques qui sont très chers ici et dont le patient a besoin sur le long terme. De plus, en saison hivernale, beaucoup d’enfants vulnérables sont exposés aux maladies virales et bactériennes, qui représentent un véritable fardeau financier pour les parents qui peinent déjà à subvenir à leurs besoins vitaux.

Pour une personne en occident, 1 dollar représente peu, mais représente énormément pour 10 bénéficiaires. Les conditions de vie des populations syriennes sont d’une précarité extrême, ce qui signifie qu’il est difficile de se procurer de la nourriture, alors que pensez-vous des médicaments ? Même la moitié d’un dollar peut changer la vie d’une personne en Syrie.

Quel message souhaitez-vous faire passer aux personnes qui vous soutiennent en France ?

J’encourage les personnes qui font des dons auprès de la population syrienne à continuer, même un don aussi petit soit-il. Comme je viens de le mentionner, les gens ici sont très pauvres à cause de la guerre, et les donateurs qui considèrent les petits dons comme ayant un impact minime génèrent en réalité un véritable changement ici. Ce montant peut nous fournir un médicament à un patient et peut lui sauver la vie.

Ne nous abandonnez pas. Les gens ici ont besoin de vous. Ne pensez pas que votre petit aide ne fera pas la différence. Ce don peut ne rien changer à votre vie, mais peut changer la vie d’une grande partie des personnes qui vivent ici.

Je voudrais aussi dire que, dès son commencement, l’UOSSM France se dirigeait vers des zones difficiles d’accès, là où la misère est la plus grande, et les déplacements de populations sont les plus nombreux. Notre travail ici est dur, mais les résultats de notre action sont valorisants. Le problème n’est pas seulement lié à l’accès aux soins, mais aussi à qui fournit l’accès.