Dr Bachar travaille avec l’UOSSM depuis plus de 3 ans. Ce jeune vétérinaire de 34 ans a tout quitté pour soigner les blessés du conflit. Aujourd’hui, il vit dans le camp de Qah, à Idleb et nous livre un témoignage poignant sur la vie cauchemardesque dans les camps où vivent des milliers de syriens. 

D’où viennent les personnes déplacées vivant dans le camp de Qah ?

Bachar : D’un peu partout en Syrie, Deraa, Homs, Dama, etc. Dans les camps, on trouve des personnes qui sont arrivées suite aux affrontements et à la reprise de certains territoires, d’autres sont là depuis le début du conflit. Avec le flux d’arrivées permanent, il y a à présent une trop forte densité de populations.

Dans quelles conditions vivent-elles aujourd’hui ?

Bachar : Honnêtement, les conditions sont misérables. 90% des personnes qui vivent dans ces camps dépendent des paniers alimentaires distribués mensuellement par les ONGs. Les familles attendent d’avoir du sucre par exemple, ou encore du thé ou du riz, pour pouvoir convenablement faire à manger. Elles sont très pauvres. Sans oublier les tentes lacérées, qu’il faut remplacer et qui traînent à arriver. Les routes sont en très mauvaises conditions, couvertes de boue, ce qui empêche tout déplacement.

Pouvez-vous décrire la vie dans les camps ?

Bachar : Tous les matins, nous attendons la distribution du pain. La plupart du temps, il est payant, mais parfois il est distribué gracieusement grâce aux aides reçues. Dans ce cas, il faut bien attendre jusqu’à 10h, 11h du matin. Parallèlement, nous attendons aussi la distribution de l’eau potable. Nous venons avec nos réservoirs et avons 5 à 10 minutes pour les remplir. À peine le temps de prendre assez d’eau pour tout ce dont nous avons besoin (toilettes, cuisine, nourriture...). Une fois que tout cela est fait, les voisins se réunissent pour discuter. Malheureusement il n’y a pas de travail, chaque jour, les gens ne font qu’attendre les aides. Le soir, il n'y a aucune source de lumière. N’ayant pas d’électricité, nous dépendons entièrement des panneaux d’énergie solaire, qui rechargent la batterie de nos lampes LED.

Je vais vous donner un autre exemple fort pour illustrer la vie ici. Par exemple, un enfant qui vit dans un camp, va s’habiller grâce aux aides humanitaires. Ces vêtements, c’est ce qu’il peut avoir de meilleur. Il va sortir jouer au milieu des allées boueuses. Deux minutes après, il est déjà tout sale. Mais cette tenue, il est obligé de la garder toute la journée. Il reste comme ça, sali de l’eau usée qui stagne dans le camp, probablement exposé aux maladies et infections. Parce que cette eau évidemment, elle n’est pas propre et elle contribue largement à la propagation des épidémies. Sans parler des odeurs.

En ce moment, pour faire face à l’hiver, les familles se chauffent au charbon. Mais le charbon est interdit parce qu’il peut provoquer de l’asthme, des pneumonies et des bronchites, et nombre d’autres maladies respiratoires. Ce charbon n’est pas destiné à un usage domestique, parce qu’il dégage une odeur très forte. En temps normal, il est utilisé pour les brûleurs de carburant ou pour le chauffage des poulaillers, mais il n’est en aucun cas destiné à être utilisé comme moyen de chauffage.  

Est-ce que les maladies présentes dans les camps sont en partie dues à ces conditions de vie ?

Bachar : Non, elles ne découlent pas seulement des conditions dans les camps. Le problème vient aussi des services de santé en général. Dans les camps, une personne qui souffre de problèmes neurologiques ne peut pas faire d’IRM. Un enfant qui doit passer un scanner doit attendre plus de 15 jours, à moins d’aller dans une clinique privée, où sa famille devra alors payer. Et là, je ne parle pas que des blessures de guerre. Il peut aussi s’agir de bébés qui naissent avec une malformation. Actuellement, le nombre de bébés qui naissent avec des malformations a augmenté. J’ai vu un de ces enfants, il avait une déformation crânienne et sa famille a dû attendre 15 jours avant qu’il puisse bénéficier un scanner. 

Cela joue-t-il sur leur état psychologique ?

Bachar : L’état psychologique des gens est très mauvais. Prenons l’exemple des patients qui arrivent à l’hôpital. Il est très compliqué de soigner tout le monde, les efforts sont concentrés sur cette prise en charge et les soins psychologiques sont clairement délaissés. L’aspect psychologique de la guérison est mis de côté. Et ça, c’est encore quand ils ont réussi à recevoir des soins dans un des hôpitaux. Dans certains cas, ils doivent trouver une clinique privée. Des facteurs qui jouent sur le moral même des plus courageux.  

Et dans les camps, l’ambiance est tout aussi morose. J’entends parler régulièrement des problèmes familiaux. Des campements, les cris résonnent et le disputes sont monnaies courantes. Les gens sont sous le coup d’un stress énorme et on ne peut que les comprendre face à toute la souffrance qu’ils ont à endurer.

Pouvez-vous nous partager un cas qui vous a marqué ?

Bachar : Une fois, j’étais dans un centre de protection de l’enfant et il y avait un enfant qui souffrait du syndrome de Down. C’était pendant une vague de froid et il neigeait. Il portait des sandales en plastique et s’était caché dans un coin. Nous avons tenté de lui mettre des bottes mais il était profondément attaché à ses sandales. Il ne voulait pas les changer. L’image de cet enfant, tremblant de froid, qui ne voulait pas changer ses sandales, est restée gravée dans ma mémoire.

Certaines personnes tentent de fuir, sont-elles nombreuses à envisager l’option Turquie ?

Bachar : Oui, il y a un grand nombre de personnes qui se déplacent vers la Turquie actuellement. Chaque personne doit payer 3 000 dollars pour entrer en Turquie et ça, de manière tout à fait illégale. Pour ceux qui n’ont pas d’argent, que Dieu soit avec eux… Même si tout cela est illégal, les prix sont faramineux.

Certaines personnes n’ont même plus peur de ce qui pourrait leur arriver et tentent le tout pour le tout. Un jour, elles y vont, elles essayent, sans préparation, sans rien, avec l’idée que “C’est bon, soit on me tire dessus et je me débarrasse de cette vie, soit je réussi et je serais en Turquie.”

Comment se passe le travail concrètement dans les camps ? Est-ce que l’UOSSM fournit une aide seulement grâce aux cliniques mobiles ?

Bachar : Non, il n’y a pas que ça. Nous distribuons des aides dans tout le nord de la Syrie, l’ouest d’Alep, le nord de Hama et Lattaquié. Nous avons un centre de santé primaire à Deir Hassan qui reçoit environ 6 000 bénéficiaires tous les mois. Nous y accueillons des civils qui ne nécessitent pas de prise en charge trop lourde. Pour les cas les plus compliqués, nous les recevons à l'hôpital de Bab Al-Hawa.

Nous sommes également chargés du projet de nutrition. Nous nous déplaçons de camps à camps pour dépister les cas de malnutrition chez les femmes et les enfants. Mais aussi pour distribuer des compléments alimentaires pour prévenir cette malnutrition.

Nous avons également des équipes de santé communautaire qui sensibilisent la population aux différentes maladies, telles que le diabète.

Et enfin, nous avons des équipes de santé mentale et de soutien psychologique. Elles agissent, par exemple, dans le cadre du projet de protection de l’enfant. Ses équipes se déplacent dans les camps de Qah, Atama, Harem et Kafranbel, plusieurs petits camps où résident environ 1 000 personnes, qui peuvent ainsi bénéficier de soutien psychologique.

Nous nous occupons également des personnes déplacées qui se sont installées dans les villages de la région et qui vivent en tentes, sans que cela ne s’apparente à des camps, mais elles sont peu nombreuses.

Nos équipes de santé communautaire et agents de santé mentale et soutien psychologique se déplacent aussi dans les régions où l’UOSSM gère des centres de santé primaire, comme Al Bara et Ariha, pour offrir des services de sensibilisation.

L’UOSSM fait aussi partie du projet de “supply line” qui est financé par l’OMS. Nous nous occupons de la distribution des kits de l’OMS dans des hôpitaux et des centres de santé primaire. En clair, l’OMS distribue ces aides par l’intermédiaire de l’UOSSM. Nous sommes un partenaire logistique : aide dans le stockage, le tri et la distribution des aides.

Les équipes sont constitués de combien de personnes ?

Bachar : Actuellement il y a 24 animateurs sociaux dans le camp Al Nahda (Deir Hassan, Qah), et 10 agents de santé mentale et soutien psychologique également à Qah. Les agents de santé mentale et de soutien psychologique se déplacent aussi dans les écoles pour offrir du soutien scolaire et des activités ludiques pour les enfants.

Un message à faire passer au reste au monde ?

Bachar : Les gens voient le nord de la Syrie comme une région terroriste, mais nous ne sommes pas des terroristes. Il faut que le reste du monde comprenne que nous luttons pour la paix et non pas l’inverse. Si nous étions des terroristes, aurions-nous aidé les victimes de l’attentat de Rachidine près d’Alep ? Nous étions les premiers à les secourir. Le monde refuse de nous soutenir et de soutenir hôpitaux et ONGs sous prétexte que nous sommes des terroristes, sans vraies raisons, sans que cela ne soit justifié… Nous ne sommes pas des terroristes, ce sont des fausses accusations.