Face au risque de propagation du virus et aux besoins médicaux et humanitaires quotidiens, le système médical en Syrie s’organise sur tous les fronts. Sinistré par la guerre et les bombardements, les soignants se retrouvent en grande difficulté face à la menace pandémique du Covid-19. 

Quelle est la capacité du système de santé à Idleb face à la propagation du coronavirus ? 

Il n’y a que 201 lits de soins intensifs et 95 respirateurs disponibles dans tout le nord-ouest syrien. Ces ventilateurs desservent 4,2 millions de citoyens, et sont occupés à 100%. Il n'y a quasiment pas de lits en soins intensifs disponibles dans tout le nord-ouest de la Syrie actuellement, alors même que le virus n’a pas encore officiellement sévi sur le territoire.

L'utilisation de ces ventilateurs pour répondre à la crise du coronavirus permettra de sauver certains patients, mais causera la mort d'autres patients qui auraient eu besoin des ventilateurs en d’autres circonstances. Ainsi, dès le premier malade du coronavirus, le système de santé sera saturé. L’utilisation de ventilateurs, qui pourrait soigner les patients du COVID-19 se fera au détriment des patients que les centres de santé et hôpitaux traitent habituellement. 

Hors soins intensifs, on comptabilise un lit médicalisé pour 1 363 habitants dans le nord-ouest de la Syrie. Beaucoup moins que toutes les normes internationales, et moins que les normes humanitaires. Ajoutez à cela que le personnel médical travaille volontairement et sans relâche depuis des mois, et cela vous donne une image bien sombre de ce qu’il pourrait advenir. 

600 médecins seulement sont présents dans le nord-ouest de la Syrie, pour 4,2 millions de citoyens syriens. Soit, 1,4 médecin pour 10 000 habitants. Ils opèrent 500 000 actes médicaux gratuits par mois. Leur santé et leur bien-être sont essentiels et vitaux pour continuer à aider et à servir les Syriens.

En réponse à cela, les organisations locales et internationales, comme l’UOSSM, présentes sur place, l’OMS, et les Directorats de santé, ont décidé que trois hôpitaux de la région soient pourvus des chambres d'isolement spéciales, et la création de 28 centres d'isolement communautaires. Toutefois, à ce jour, ces mesures ne sont pas encore effectives. 

Une conclusion s’impose : aujourd'hui, aucun patient atteint du coronavirus n’est en mesure d’être soigné correctement. De plus, tant que les mesures décidées ne sont pas appliquées, les patients seront répartis au hasard dans tous les établissements de santé. Les installations médicales seront alors elles-mêmes une source d'infection.

Dans ce contexte très sombre, l’espoir renaît avec l’arrivée des kits d'analyse du COVID-19 à Idleb.

Ils sont arrivés le 26 mars, au laboratoire centre de surveillance épidémique mis en place à Idleb. Avant leur arrivée, les soignants ne pouvaient confirmer ou non les infections, et étaient obligés de se limiter à l’observation des symptômes cliniques. 

Le Dr Mohammad Shahm Makki, directeur du laboratoire, nous parle de la mise en place de ce nouvel établissement en réponse au coronavirus. 

« Nous avons suivi une formation à Ankara, au laboratoire central de virologie, sous la tutelle du ministère de la Santé turque. Nous avons été formés à diagnostiquer le COVID-19 grâce au dépistage par tests biologiques (PCR). Le coronavirus a la particularité de ne pouvoir être détecté qu’en laboratoire, et exclusivement grâce à ces tests biologiques. Aucun autre moyen ne peut être utilisé actuellement, l’analyse en laboratoire est donc le standard actuel. »

Les équipes sont aujourd’hui prêtes à accueillir les cas suspectés, et ainsi à confirmer ou non les infections liées au COVID-19. 

Toutefois, la situation dans les camps reste très préoccupante. 

Certes, les tests sont arrivés, mais avant toute chose, il faut éviter une propagation trop rapide du virus. Ce qui relève quasi de l’impossible si le virus arrive dans les zones surpeuplées, où les réfugiés s’entassent dans des tentes de fortune. Et il va arriver. 

Dans ces camps, les produits d’hygiènes sont une denrée bien rare, sans parler des solutions hydroalcooliques, les salles d’eau sont communes pour les 2 millions de déplacés, et les campagnes de sensibilisation ont encore peu d’impact. Difficile de respecter les gestes barrières, quand il n’y en a pas les moyens… 

Pour autant, les équipes de l’UOSSM, en collaboration avec le Directorat de santé d’Idleb, ne baissent pas les bras, et brochures, ainsi que d’immenses affiches de sensibilisation sont déployées un peu partout dans la province d’Idleb. 

Une cellule de crise a également été mise en place entre les organisations locales et internationales présentes sur place, l’OMS, et les Directorats de santé, afin d’élaborer un plan d’action propre au nord de la Syrie. 

Notre plan d’action pour lutter contre le COVID-19

Les installations médicales et les travailleurs humanitaires du nord-ouest de la Syrie sont en cours de préparation et de formation sur les mesures spécifiques au COVID-19, conformément aux directives de l'OMS.

• Des soins de santé mobiles pour désengorger les hôpitaux : l'UOSSM a l'intention d'exploiter deux unités de chirurgie mobiles pour fournir des services chirurgicaux, ainsi que des services de premiers soins d'urgence. Deux cliniques mobiles entièrement équipées fonctionneront 24h / 24 et 7j / 7 avec un.e chirurgien.ne-généraliste, un.e anesthésiste, un.e infirmier.ère et un.e assistant.e en chirurgie. 

• Renforcement des structures déjà en place : l’UOSSM souhaite également agrandir et améliorer un hôpital de la région ouvert 24h / 24 et 7j / 7, le seul spécialisé en médecine interne dans tout le nord-ouest. L'élargissement de ses services est essentiel et nécessaire pour faire face au COVID-19. Cela se traduit par exemple, par : l’augmentation du nombre de lits, la mise en place d’une unité de soins intensifs isolée pour les cas de coronavirus, l’établissement d’une deuxième unité de prise en charge des maladies pulmonaires.

• Création de structures spécifiques à la prise en charge du COVID-19 : en étroite coordination avec le Directorat de santé d’Idleb, l'UOSSM cherche à établir un nouveau centre permettant d'isoler et d'assurer des soins, et une assistance médicale adéquats pour les cas identifiés et suspectés. 

• Identifier et prioriser nos actions sur les personnes à risque : environ 19 000 personnes souffrent de maladies chroniques à Idleb, dont 4 000 de problèmes respiratoires. Ces personnes, en plus de celles de plus de 65 ans, sont particulièrement à risque. L’UOSSM a l’intention de distribuer aux patients connus de ses services, via nos structures de santé, des kits d’hygiène, ainsi qu’un stock de trois mois et plus, des médicaments nécessaires à leur traitement.

Protéger et former le personnel soignant : sur la base des directives de l’OMS. Une première formation a eu lieu le 30 mars, animée depuis la France par : le Pr Raphaël Pitti, médecin anesthésiste-réanimateur, spécialiste de la médecine d’urgence et humanitaire ; le Dr Ziad Alissa, médecin anesthésiste-réanimateur, président de l’UOSSM ; le Pr Abdulmonim Hamid, pneumologue, référent scientifique à l’hôpital Foch. Au cours de cette formation, les soignants ont abordé les sujets suivants : 

1. Présentation et rappel des maladies virales 

2. Le virus SARS-COV-2, conduisant au COVID-19

3. Le diagnostic et le triage 

4. Le protocole thérapeutique, et sa possibilité en Syrie

• Renforcer les services de santé primaire : l’UOSSM souhaite que chaque centre de santé primaire s’équipe de tentes afin de pouvoir dépister et isoler les patients suspects. Dans chaque tente, une infirmière prendra en charge les patients, qui seront ensuite, si nécessaire, rediriger vers la structure adéquate. Dans les hôpitaux, l’UOSSM préconise la mise en place d’une procédure similaire, à savoir, l’installation de chambres à l’entrée de l’établissement, afin de dépister les patients. 

• Renforcer les ambulances, qui serviront d’unité d’évacuation d’urgence : elles seront équipées du matériel de protection spécifique, conformément aux recommandations de l’OMS (masques, gants, etc.). Dans ces ambulances seraient présents : un.e médecin généraliste, un.e infirmier.ère, un.e chauffeur. 

• Les mesures de communication, d'éducation et de sensibilisation sont parmi les moyens les plus urgents et efficaces pour empêcher la propagation de l’épidémie : dans le nord-ouest de la Syrie, bon nombre de ces approches ont une efficacité limitée, car aucune autorité gouvernementale centrale n'est en mesure de transmettre ces messages et d'assurer la mise en œuvre de toutes les mesures essentielles dans tous les secteurs.

Afin que le message passe quand même auprès de toute la population, l'UOSSM, en collaboration avec le Directorat de santé d’Idleb, souhaite mobiliser ses équipes de vaccination et ses agents de santé communautaire, pour mener des campagnes de mobilisation intensives. Les 150 agents de santé communautaire formés par l’UOSSM dans le nord-ouest de la Syrie, au cours des dernières années, auront pour tâche de fournir des informations précises et de lutter contre les rumeurs liées au COVID-19. Ils sont actuellement tous formés sur la pandémie et la riposte au COVID-19.

• Parmi ces mesures de sensibilisation, les équipes rappellent l’importance de ne pas submerger les établissements de santé : c’est pourquoi, l’UOSSM plaide pour la mise en place de services de consultation en ligne. Les bénéficiaires pourront accéder à des recommandations vocales ou par vidéo et recevoir des ordonnances à la suite de leur consultation. Un numéro de téléphone pour les questions liées au COVID-19 doit également être mis en place.

Soutenir notre plan d’action de lutte contre le Covid-19 en Syrie, et nous aider  à acquérir le matériel de protection et de prise en charge du coronavirus, est primordial. Ensemble, nous pourrons renforcer les capacités du système de santé syrien, et faire face à la fois à cette menace, mais aussi à la situation humanitaire dans son ensemble.