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Témoignage exclusif du Dr Farida, gynécologue, chirurgienne obstétricienne, rescapée d’Alep. De passage à Paris, avec son mari le Dr Abdulkhalek, ophtalmologiste à Idleb, ancien responsable d'un hôpital à Alep et le Dr Morad, chirurgien et directeur de l'hôpital de Khan Cheikhoun, elle nous raconte la crise médicale et humanitaire en Syrie.

Dr Farida : "Le premier mois du siège, il n'y a pas eu de bombardements lourds sur Alep nous vivions notre vie normalement. Il n'y avait pas d'électricité, pas de nourriture… mais c'était pour nous une situation normale. Le dernier mois du siège, le régime a commencé à bombarder Alep. De gros bombardements, avec toutes sortes d'armes inimaginables. Où que l’on allait, il y avait des bombardements. Chaque fois, il y avait des bombes, des roquettes, des voitures qui brûlaient et des gens qui mouraient. Il y avait des maisons et des immeubles qui s'effondraient et emprisonnaient les victimes à l'intérieur. Beaucoup de gens sont morts chez eux et personne n’arrivait à sortir leur corps des débris. Un de nos amis avait sa famille qui était chez lui pendant qu’il était avec nous à l'hôpital afin d’examiner les yeux de son fils. Lorsqu'il est retourné chez lui, il a trouvé sa maison effondrée sur sa famille : sa femme et ses trois enfants".

Comment vous viviez la situation en tant que médecin ?

Dr Farida : "Moi, je préférais rester à l'hôpital, parce que je ne pouvais pas rentrer à la maison. De toute façon, c’était trop dangereux de prendre la route pour retourner à la maison. Les bombardements ne s'arrêtaient pas. J’allais donc à l'hôpital et j’y restais, au sous-sol. C'était mieux que ma maison qui était au premier étage. En quelque sorte, c'était plus sûr. Mais les derniers jours, ils ont commencé à nous bombarder avec du gaz de chlore. Au final, il n'y avait plus rien de sûr pour nous. Comme vous le savez, le gaz de chlore est plus lourd que l'air et il descend en sous-sol.

Il y a eu beaucoup d’histoires tristes à Alep... Une patiente est venue avec des éclats d'obus dans son abdomen, qui ont coupé son bébé en deux... elle était enceinte de 5 mois. Le bébé était mort et la situation de la patiente était très instable, elle avait besoin de trois médecins pour prendre en charge ses blessures : nous avions besoin d'un chirurgien général, d'un gynécologue et d'un médecin pour reconstruire les veines, les artères. A cette époque, il était très difficile de trouver trois médecins pour s'occuper d'une seule patiente parce qu'il y avait beaucoup de blessés… tant de blessés là-bas. Nous avons commencé à opérer jusqu'à ce que les autres médecins puissent venir m'aider et aider cette patiente. Elle a été sauvée, mais pas le bébé... Et je pense qu’elle ne pourra plus avoir d’enfants... elle avait dix-huit ans, elle était si jeune et c'était sa première grossesse".

Le danger était présent partout durant le siège et les derniers jours de la crise d’Alep ?

Dr Farida : "Le problème était que les bombardements à Alep ont détruit les générateurs d'oxygène et nous nous sommes retrouvés en manque d'oxygène. C'était un très grave problème de ne pas avoir d'oxygène parce que nous ne pouvions pas faire de césarienne ou d'opérations pour lesquelles nous avons besoin justement d'oxygène. Et autre chose, l’ICU (service de soins intensifs) était rempli de blessés et nous n'avions pas beaucoup de médicaments.

Quand j’allais à l'hôpital pour faire des césariennes, je partais de chez moi avec le véhicule de l’hôpital, c'était très dangereux parce que nous ne pouvions pas allumer les gyrophares, les hélicoptères nous attaquaient dès qu’ils apercevaient une lumière dans la rue. Nous allions donc sans gyrophares à l'hôpital. Et parfois, lorsque nous y allions, nous tombions sur des bâtiments détruits qui bloquaient la route et nous devions trouver un autre chemin.Donc, tous les trajets étaient très dangereux et nous ne savions pas quel itinéraire prendre.

C’était très difficile aussi pour les femmes qui venaient à l'hôpital, elles devaient attendre les ambulances, parfois pendant très longtemps. Certaines commençaient à perdre beaucoup de sang quand elles étaient encore chez elles (à attendre) et il n'y avait pas de voiture pour les amener à l'hôpital. Une fois qu’elles y arrivaient, elles avaient perdu tellement de sang qu’elles arrivaient en état de choc.

Parfois nous devions faire une opération et il n'y avait pas de salles disponibles. Toutes les chambres étaient occupées. Dans certains cas, nous devions admettre un patient en salle d'opération devant un autre patient, alors que les deux avaient autant besoin d'être opérés. Des bébés sont morts parce qu'il n'y avait pas de salles d'opération libres".

Depuis l’évacuation d’Alep, vous avez été forcé de partir vers Idleb. Malgré tout ce que vous avez vécu, vous continuez ?

Dr Farida : "Oui, nous devons continuer! Parce que c'est notre devoir. Avant de venir en France, il y avait deux hôpitaux où je travaillais en Syrie.

Mais mes amis m'ont dit qu'un des deux hôpitaux venait de fermer parce qu’ils ne recevaient plus d’aides. Donc, il est fermé maintenant. Mais l’autre hôpital reçoit toujours des aides, alors je vais pouvoir continuer à y travailler (ndrl : à mon retour), et je vais aussi donner des formations dans une école de sages-femmes".

Plus que jamais, les hôpitaux et les médecins ont besoin du soutien des ONG ?

Dr Farida : "Oui, bien sûr, nous avons besoin du soutien des ONG. Parce que les gens sont très pauvres ici et que les hôpitaux privés ne fonctionnent pas vraiment parce que les gens ne peuvent pas payer une grosse somme d’argent pour leurs soins. Ils veulent aller dans des hôpitaux gratuits et les hôpitaux gratuits ne peuvent pas travailler sans le soutien des ONG, comme SAMS ou l’UOSSM ou d'autres organisations. Nous avons donc besoin d'un soutien à Idleb !

Vous pouvez nous soutenir, avec votre voix ou vos dons parce qu'en Syrie, tant de personnes ont besoin de médecins. Les patients sont blessés, il y a tellement de blessés, les bombardements ne s'arrêtent pas, les gens continuent de mourir là-bas. Et il y a tellement d'hôpitaux qui travaillent gratuitement. Mes amis travaillent gratuitement. Ils continuent d’ouvrir des hôpitaux alors qu’ils ne perçoivent aucun salaire. Mais ils continuent parce que c'est leur devoir.

Mais pour combien de temps ? Peut-être pendant un, deux ou trois mois, mais après cela ? Toutes les personnes là-bas ont des familles, toutes les infirmières, tous les médecins et certains d'entre eux ne peuvent pas faire cela pendant longtemps. Nous avons donc besoin de l’aide des personnes du monde entier pour sauver les Syriens, parce que nous sommes humains".

Retrouvez également l'interview du Dr Morad, chirurgien et directeur de l'hôpital de Khan Cheikhoun, qui nous livre les moments douloureux vécus à Idleb au moment des attaques chimiques le 4 avril dernier. 

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