Le Dr Ziad Alissa, président de l’UOSSM France et le Pr Raphaël Pitti, responsable Formation, se sont rendus à Raqqa du 9 au 14 novembre pour mettre en place une formation inédite. L’objectif de cette rencontre ? Former les quatre équipes de soignants en charge de mener une étude ambitieuse sur la situation sanitaire des enfants de 4 à 6 ans dans les camps du nord de la Syrie. Retour sur les enjeux de cette formation et de cette étude exploratoire.

Genèse du projet d’étude sur la santé des enfants

Dix ans après le début de la guerre en Syrie, la moitié de la population syrienne s’est vue déplacée de son foyer. Une part importante de la population a trouvé refuge dans le nord du pays et vit pour la plupart dans des camps de fortune aux conditions de vies des plus précaires. Le système de santé syrien s’est effondré. Dans ce contexte, la situation sanitaire ne cesse de se dégrader. Pendant ces années de guerre, les instances humanitaires engagées sur place ont répondu aux urgences. 

Aujourd’hui, après 10 années de conflit, il est temps de penser à l’avenir et de mettre en place des programmes qui s’installeront dans la durée, à la réhabilitation d’un système de santé défaillant. L’UOSSM France est mobilisée depuis de nombreuses années sur le développement de structures de santé intégrant le traitement des pathologies chroniques, comme nos centres de dialyse et de traitement de la thalassémie.

Pour l’UOSSM France, il apparait nécessaire de prioriser les actions et de le faire sur la base de diagnostics de l’état de santé de la population syrienne. L’enjeu est de répondre aux questionnements suivants : Quels sont les besoins en matière de santé ? Comment déterminer les besoins réels ? Qu’est-ce qui prouve que ces besoins existent ? 

Sur le plan diplomatique, le conflit s’éternise et les subventions publiques s’amenuisent. A ce jour, il ne s’agit plus de dire qu’il y a des bombardements, mais bien de prouver l’utilité de notre action en terme de santé publique. C’est dans ce contexte que le Pr Raphaël Pitti, responsable formation UOSSM France, a contacté l’Observatoire régional de la santé (ORS) Grand Est afin de participer à la mise en œuvre d’une étude permettant d’évaluer les besoins en santé des enfants en Syrie. 

Il se trouvait que la région de Metz, pour son programme de lutte contre la grande précarité, a lancé une étude à grande échelle visant à établir un bilan de santé obligatoire pour les enfants de 4, 6 et 8 ans dans les écoles issus de quartiers défavorisés. Raphaël Pitti s’est inscrit à ce projet de recherche, dans l’optique de comprendre le procédé, voir comment l’étude s’organise et de s’en inspirer pour le dupliquer en Syrie.

A ce jour, aucune donnée statistique n'existe pour mesurer l'état de santé des enfants vivant dans les camps.  Ces enfants nés dans la guerre et dans ces camps. Nous souhaitons transférer ce modèle innovant en France vers la Syrie et voir dans quelle mesure nous pourrions établir une vision globale de la situation sanitaire des enfants en Syrie.

Une étude quantitative exploratoire

L’objectif prioritaire est d’évaluer des prévalences de pathologies et troubles, parmi les enfants de 4 à 6 ans vivant dans des camps en Syrie et participer ainsi à identifier les besoins de prises en charge prioritaires.

Les objectifs secondaires, en fonction des données récoltées, sont les suivants :

1.D’identifier, selon les effectifs et prévalences, d’éventuelles différences significatives ou disparités (ex : entre sexe, camps)

2.De confronter les résultats à des données existantes

3.D’identifier des besoins d’études complémentaires qui seraient nécessaires 

4.D’orienter les enfants vus en bilans pour une prise en charge de leurs éventuelles problématiques repérées vers des dispositifs déjà existants

L’étude consistera à réaliser par des professionnels de santé, dans certains camps en Syrie, des bilans de santé pour les enfants de 4 à 6 ans sur un panel de 500 à 1000 enfants. La saisie des résultats individuels sera constituée sur une base de données anonyme afin d'exploiter les données obtenues en accord avec la confidentialité des données personnelles (RGPD).

De la médecine d’urgence à la médecine préventive

Si nous faisons une étude exhaustive de la situation dans les camps, nous avons la possibilité d’alerter les grandes institutions comme l’OMS et l’UNICEF sur les priorités en terme de santé à mener. Aujourd’hui, mener des actions en médecine préventive est primordial pour réhabiliter le système de santé.

Nous pourrons à partir de là créer de nouveaux projets pour répondre au mieux aux besoins identifiés lors de l’étude. Et pour cela, notre étude doit être menée de manière à ce que les informations récoltées soient irréfutables sur le plan scientifique. Cette étude va être analysée par l’Observatoire Régional de la Santé de la Moselle. Dans le cadre de ce projet, nous avons obtenu un soutien financier de la Direction de la Protection Maternelle et Infantile du département de la Moselle.

Première étape de ce projet ambitieux : former les équipes soignantes qui seront en charge de mener l’étude sur le terrain.
Nous avons recruté 4 équipes composées d’un médecin et d’un infirmier ayant eu une expérience en pédiatrie. Durant un mois, ces quatre équipes sillonneront les camps du nord de la Syrie pour élaborer un diagnostic complet d’au moins 250 enfants par équipe.

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Formation théorique et pratique de l’équipe de soignants

Le Dr Ziad Alissa et le Pr Raphaël Pitti se sont rendus à Raqqa du 9 novembre au 14 novembre afin de former ces équipes sur le plan théorique et pratique.

Une première journée a été dédiée à la théorie et à la compréhension de la méthode de collecte de données ainsi qu’à l’intégration de ces données sur notre logiciel de traitement. La seconde journée fut consacrée aux cas pratiques avec l’examen complet de 7 enfants selon le référentiel établi.

Le Dr Somaya et l’infirmière Hoda nous ont livré leur témoignage suite à la formation :

« Je m’appelle Dr Sumaya, spécialisée en médecine interne. De mon point de vue, cette formation est l’occasion d’apprendre de manière académique l’examen clinique des troubles physiques et psychologiques chez les jeunes enfants. Et surtout, d’étudier l’impact du conflit qui perdure sur ces enfants qui n’ont connu que la guerre. J’ai commencé à travailler dans les ONG il y a un an au sein de l’hôpital national de Raqqa, en plus de mon travail en soins intensifs pour les patients Covid-19. L’une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés dans le traitement des enfants est la propagation des maladies chroniques et négligées chez les enfants, en plus du manque de sensibilisation de la plupart des parents sur les règles d’hygiène favorisant le développement de maladies. Dans cette formation, j’ai appris à gérer cette tranche d’âge cible, à surveiller les maladies courantes et à fournir l’assistance médicale adaptée. L’une de mes plus grandes craintes en tant que médecin est qu’en la destruction du système sanitaire, éducatif et économique du pays, après 10 ans de guerre, les maladies des plus communes sont maintenant préoccupantes à cause des conditions de vies précaires des populations vivants dans les camps. Mon rêve, en tant que médecin, est de fournir une assistance médicale et d’améliorer la situation sanitaire de la région en particulier chez les enfants, avenir de notre pays. »

« Je m’appelle Noor, infirmière en anesthésie. La raison de participer à cet atelier est d’apprendre à apprivoiser la médecine préventive chez les enfants et de connaître les bonnes manières de traiter la maladie. J’ai commencé à travailler dans des ONG en 2018 en tant que volontaire dans le but d’apporter une assistance aux personnes victimes du conflit. Nous sommes constamment confrontés à des difficultés de prise en charge des enfants, au manque de médicaments en quantité suffisante et dans certains cas, les centres de santé sont trop éloignés pour les personnes vivants dans les camps. Nous rencontrons beaucoup de difficultés à collecter des données sur la santé des enfants viables, car en contexte de guerre, la conservation des dossiers médicaux est très compliqué. J’ai bénéficié de la formation, appris des méthodes de prévention et de traitement de certaines maladies chez les enfants et collecter des données sur leur état de santé. Nous craignons toujours que la guerre en Syrie continue et n’augmente les problèmes sur le plan sanitaire. Mon souhait le plus cher en tant qu’infirmière est que cette guerre n’aggrave pas la santé déjà affaiblie des enfants dans les camps, et de fournir une assistance médicale à tous ceux dans le besoin. »

L’étude sur le terrain a démarré depuis le 15 novembre et durera un mois.